Voyages humanitaires : gare aux arnarques du volontourisme

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Voyages humanitaires : gare aux arnarques du volontourisme
Faire rimer vacances avec bonne conscience. L’idée séduit chaque année de nombreux voyageurs. Étudiants ou retraités espèrent découvrir un pays tout en aidant les plus démunis.

Mais si certaines missions de volontariat, encadrées par de vraies ONG, participent au développement local, le "tourisme humanitaire", lui, surfe sur les bonnes intentions et surtout le porte-monnaie des bénévoles. 

 "Je ne regrette pas l’expérience culturelle mais je suis rentrée avec un sentiment amer, ma présence sur place s’est révélée globalement inutile", se souvient Célia, 20 ans, qui a travaillé un mois pour financer un "chantier" de trois semaines dans un village du Togo. La bibliothèque qu’elle devait construire n’a jamais été achevée.

Loin de remédier à la précarité, le "volontourisme", contraction de volontariat et de tourisme, peut même avoir des conséquences désastreuses sur les populations locales. Alors comment éviter les arnaques ? 


Un business lucratif
La manière la plus simple de savoir si une mission relève du volontourisme ? L’argent.

"La différence avec une mission de volontariat, c’est qu’on paye sa mission, en plus de payer son billet d’avion et son logement", explique Clarisse Bourjon, chargée de mission plaidoyer à France Volontaires. Et on la paye cher.

Pour vous occuper d’enfants dans un orphelinat au Cambodge pendant 4 semaines, comptez 1 045 euros avec GlobAlong. Pour donner des cours de français au Ghana, pas moins de 2 205 euros les 4 semaines avec ProjectAbroad, le leader du volontourisme. Sur place, le porte-monnaie des volontaires est encore sollicité pour divers dons et financements de "projets". En 2015, le business du volontourisme était estimé à plus de 150 millions d’euros.

Alors qu’une vraie mission de volontariat, elle, est complétement gratuite, et même rémunérée : "En temps que volontaire, on est censé recevoir soit une indemnité pécuniaire, la mise à disposition d’un logement ou de la nourriture. Il y a une sorte de défraiement pour le service rendu", rappelle Clarisse Bourjon. 


Aucune compétence requise
Autre différence : les compétences. Pour partir en "mission" avec une agence de volontourisme, il suffit de payer. Aucune compétence ni aucun diplôme n’est requis. N’importe qui peut devenir professeur d’anglais pour la semaine, construire un puits ou s’occuper d’enfants handicapés. 

"Il n’est pas nécessaire d’avoir une formation pédagogique pour vous engager sur nos missions humanitaires en Afrique : votre engagement et votre affection feront déjà une grande différence", peut-on par exemple lire sur le site de Project Abroad. 

Pire encore, certaines agences de volontourisme ne demandent même pas d’extrait de casier judiciaire aux volontaires travaillant avec des mineurs. Des pédophiles en ont malheureusement profité. 
"Il faut vraiment se poser la question ’est-ce que je pourrais faire ce genre de mission en France ?’", appuie Clarisse Bourjon.


On imagine mal un Vietnamien de 19 ans, sans diplôme et sans expérience, débarquer plein de bonne volonté dans une école primaire pour donner des cours à des petits Français.

Si l’on n’a ni les compétences, ni le temps nécessaire à un vrai projet de développement, mieux vaut donc y renoncer. "Il faut avoir la capacité de se dire ’finalement je n’ai que cinq jours, mes seules compétences sont Photoshop et InDesign, donc je ne vais pas aller construire un puits’", conseille Chloé Sanguinetti, réalisatrice du documentaire The Volontourist.


Des conséquences désastreuses
Ce business de la charité est lourd de conséquences pour les populations locales. Au Cambodge et au Népal, des enfants sont arrachés à leur famille et placés dans des orphelinats pour répondre à l’afflux de touristes qui viennent les prendre en photo, entre deux visites de temple, comme l’ont montré des journalistes d’Envoyé Spécial"J’ai une amie cambodgienne qui m’a dit ’vous pensez que nos enfants sont des chiots’, parce que les volontaires viennent jouer avec eux ", raconte Chloé Sanguinetti, qui vit au Cambodge depuis 3 ans.

Selon l’ONG Friends International, 80 % des enfants placés en orphelinat dans le monde ont en réalité au moins un de leurs deux parents encore en vie. Dans certains pays, le mot "orphelinat" a perdu son sens premier : "Au Cambodge, il y en a tellement que c’est devenu une option. Ce sont toujours les familles pauvres qui se séparent de leurs enfants", explique la réalisatrice.

À force de voir défiler des dizaines de volontaires différents tous les mois, ces enfants finissent par développer des troubles de l’attachement.


Des échanges culturels biaisés
Les volontouristes menacent également l’économie locale, en proposant de la main d’oeuvre gratuite, ou en donnant nourriture, cahiers, stylos. Des dons qui ne sont pas toujours adaptés aux besoins  : "J’étais au Burkina Faso, et dans la bibliothèque pour enfants il y avait Petit Ours Brun à Noël, qui mange de la dinde sous la neige", rapporte Clarisse Bourjon. 

Et bien souvent, une fois les volontaires partis, les puits ou filtres à eaux construits se cassent, sont laissés à l’abandon, jusqu’à la construction d’un nouveau puits à quelques mètres du premier, par une nouvelle équipe de volontaires. 

Les relations entre locaux et occidentaux sont aussi biaisées par cette forme de tourisme. "Dès notre arrivée, nous avons été vus comme des gens qui allaient donner ou payer des choses spontanément", raconte Célia. "C’était un peu choquant mais logique puisque des "chantiers" étaient organisés chaque année dans le même village".


Attention au marketing du "white savior" (sauveur blanc)
D’autres volontouristes n’ont pas conscience du problème : "Tous ceux que j’ai rencontrés avaient vraiment envie d’aider, ça partait d’une bonne intention", précise Chloé Sanguinetti. Selon Clarisse Bourjon, ces voyageurs sont attirés par des formules tout compris : "Les sites de volontourisme vendent de la poudre aux yeux, un package parfait. Alors qu’un vrai projet de volontariat, ça demande du temps et des recherches." 

Et si, une fois sur place, les volontouristes se sentent inutiles, on leur affirme le contraire : "Tout le staff répète qu’ils aident, puisque ces entreprises dépendent de leur argent pour fonctionner", explique Chloé Sanguinetti. 

Pour ceux qui se rendent compte de l’arnaque, le retour à la réalité est parfois difficile :"Ce n’est pas très agréable de sentir qu’on s’est fait berner et qu’on a dépensé une grosse somme d’argent pour quelque chose qui aura, au mieux aucun impact, au pire un impact négatif. Et ça peut décourager ces personnes à s’engager pour le reste de leur vie", regrette la chargée de mission plaidoyer de France Volontaires. Celia, elle, n’a plus l’intention de retourner en Afrique. 


Se poser les bonnes questions
Alors, avant de partir en mission au bout du monde, il faut se poser les bonnes questions. "Est-ce qu’on a vraiment l’obligation de partir à l’étranger pour faire quelque chose de bien ?", demande Clarisse Bourjon. "On peut aussi s’engager dans des organisations à côté de chez nous, qui travaillent sur la solidarité internationale." Pour aider les potentiels volontaires, elle conseille de lire le guide en ligne Partir pour être solidaire .

Un peu d’humour peut aussi éveiller les esprits. L’association SAIH Norway tourne des vidéos humoristiques pour briser les stéréotypes sur l’Afrique et remettre en question la position de "white saviors" ("sauveurs blancs") qu’ont souvent les volontaires. 




Heureusement, les mentalités commencent à évoluer, observe Chloé Sanguinetti à Phnom Penh au Cambodge. "De plus en plus de personnes se questionnent sur la façon de faire du volontariat." Il y a quelques semaines...


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