Nomade des mers : J’ai embarqué sur le bateau du Low-Tech Lab
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À la rédaction de We Demain, cela faisait des années qu’il nous parlait de ce bateau qui faisait le tour du monde des technologies frugales, et de son capitaine Corentin de Chatelperron. Un beau jour il nous a dit : "Ciao, je les rejoins à Manille". La dernière fois qu’il avait navigué, il était en CM2.
C’est d’abord un halo dans la brume, puis une lumière rouge émerge à l’horizon. Suivie d’une deuxième rapprochée. Je m’agrippe au bastingage et tente d’évaluer la distance. Les embruns me fouettent le visage et Canard émet un petit "couac" d’inquiétude. Rouge, ça veut dire que je vois son flanc gauche. Je mets deux doigts devant mes yeux et commence à compter. Il se rapproche du mât. Il va nous couper la route. Il faut virer de bord. Maintenant ! Il est 2 heures du matin, je suis seul à la barre d’un catamaran qui file dans la nuit sur la mer des Philippines.
Et mon rôle est d’éviter que mes camarades endormis ne meurent broyés par un supertanker. La raison de ma présence ici tient en deux mots : low-tech. Des technologies frugales, faciles à construire, résilientes et qui permettent de répondre aux besoins fondamentaux de l’humanité tels que l’accès à l’eau, à l’énergie ou à une nourriture saine.
Réchaud à bois, désalinisateur solaire, phytoépuration, biodigesteur, élevage de grillons, charbon vert… autant d’inventions que, depuis 2014, l’association française Low-Tech Lab s’est donné pour mission de dénicher partout sur la planète pour les étudier et publier ensuite leurs plans gratuitement sur internet.
Et c’est pourquoi, un matin d’avril, je me retrouve sur le port de Manille, mon sac sur l’épaule, prêt à embarquer pour deux mois d’aventure. Il est 9 heures du matin et il fait déjà 35 °C. Corentin de Chatelperron est assis sur le bord du quai, son ordinateur portable sur les genoux. Il se lève et me fait un grand salut amical. Âgé de 36 ans, l’ingénieur breton est le fondateur de l’association Low-Tech Lab. Et un marin émérite qui, il y a près de dix ans déjà, ralliait le Bangladesh à la France sur un bateau construit de ses mains en biocomposite de jute. À son bord : un réchaud à bois, quelques plantes et une poule. Une aventure qui lui inspira un projet de plus grande ampleur.
Acheté d’occasion, il a été énormément modifié par l’équipage. Sur ses deux coques blanches de 13 mètres s’entassent tuyaux, citernes à spiruline et à eau de pluie, bac à compost, réchaud à bois, four solaire, panneaux photovoltaïques et éoliennes. Et à travers les vitres, on aperçoit les feuilles des cultures hydroponiques qui se pressent en quête de soleil. Un véritable écosystème flottant.
Quand il ne raconte pas des anecdotes incroyables, Johnny est notre encyclopédie pour tout ce qui touche au bricolage. Il y a aussi Omid. Un réalisateur iranien de 31 ans, à qui on a refusé la nationalité française malgré son doctorat obtenu à Paris. Désormais, il vit à Auroville et a suivi Johnny dans ce voyage pour filmer les tutoriels. Et puis Cyprien. Étudiant à l’université de technologie de Compiègne, cet ingénieur de 22 ans a décidé de prendre une année de césure pour offrir ses services au Low-Tech Lab. À bord, il s’occupe de la construction des prototypes.
Notre première aventure a pour destination les montagnes de la Sierra Madre, à l’est de Manille. Le thème de cette escale aux Philippines est l’éclairage solaire. Et pour cela le Low-Tech Lab s’est rapproché d’une ONG locale, Liter of light, qui a développé une lampe particulièrement robuste et facile à réparer. Alors que le soleil se couche sur la jungle, les lanternes solaires s’allument une à une telles des lucioles sous les toits de palme de Sitio Anipa. Nous avons remonté une rivière toute la journée pour atteindre cette communauté isolée d’une quarantaine de maisons. Le chef du village, Ernesto Cruz Saramiento, nous accueille d’un grand sourire édenté pendant que sa femme nous sert des poissons grillés et du riz qu’elle vient de préparer au feu de bois.
Quelques jours plus tard, je me retrouve assis devant une nappe blanche chez Illac Diaz, le fondateur de Liter of light. Ou plutôt chez ses parents. La vieille maison coloniale est remplie du sol au plafond d’oeuvres d’art de leur collection. Des dizaines de tableaux s’entassent littéralement dans l’entrée tandis que le jardin est rempli de sculptures. Après la jungle, le décalage est saisissant. Illac Diaz est un peu une star parmi les entrepreneurs sociaux.
"On planche sur une prochaine version qui intégrera un mini-ordinateur Rapsberry Pi à 10 euros, afin d’apporter le wifi en plus de la lumière." C’est justement le thème de notre prochaine escale à Taïwan. Pour s’y rendre, c’est au moins une semaine de traversée qui nous attend.
Si la vie low-tech est excitante sur le papier, elle n’est pas toujours facile. Je me réveille vers 8 heures, trempé de sueur. Il fait déjà 40 °C dans la coque. Il n’y a pas de clim’, pas de frigo à bord ou même de prises électriques autres que celles basse tension du générateur solaire. J’écarte la moustiquaire de ma couchette et me dirige vers le cockpit pour préparer le café.
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